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L’écologie évolutive, un dépassement de la Théorie de l’évolution ?

Face aux élaborations standards, du darwinisme et de ce que l’on appelle « la synthèse néo-darwinienne » Thierry Lodé poursuit son travail critique sur l’évolution du vivant.  Il propose un élargissement de la théorie de l’évolution. Pour cela, il se propose de développer une écologie évolutive qui tienne compte de toutes les relations des êtres vivants entre eux. Pour ce faire, il nous propose d’abord une enquête historique. Il confronte les arguments de Lamarck, de Darwin et du néodarwinisme pour mieux les dépasser. Cette écologie évolutive intègre, à la manière des poupées russes, les différents emboîtements que le vivant élabore à l’aveugle depuis la nuit des temps. Plus que la survie des gènes, c’est plutôt la construction de ces multiples interactions subtiles et délicates qui fait l’histoire évolutive. D’où cette question.

Et si l’observation de la nature nous enseignait que, dans les faits, l’évolution de chacun dépend des autres, de tous les autres.

REECOUTEZ L’ÉMISSION DE CE 15 DÉCEMBRE ICI : http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4967860

Au loup !

Jusque dans certains milieux écolo-libertaires se véhiculent de drôles d’idées noires. Voilà qu’on y crie « au loup » ! Qu’on y fait la propagande de films apparemment documentés, mais à l’argumentaire plus que biaisé, pour exiger la « régulation » des loups en insistant sur les images des carnages et sur la fin de l’agriculture paysanne. Pourtant cette intimidation cinématographique, qui a valeur d’une thèse à charge contre la vie sauvage, ne peut guère faire croire que l’élevage serait en péril en France à moins d’une très grosse manipulation.

Pour 24.7% de « parcs naturels », il n’existe sur le territoire français que 2% de zones en réserve pour le maintien de la faune sauvage quand l’espace naturel et nos montagnes sont de plus en plus avalés par les aéroports, par des barrages, par l’intensification des cultures, par le tourisme et par la croissance urbaine.Il est probable pourtant que cette invasion continuelle des espaces soit de plus en plus incompatible avec la présence de la faune sauvage. Alors, la solution serait, sinon de détruire tous ces animaux qui gênent, au moins de les écarter ailleurs, plus loin encore, de réduire leur prétendue « prolifération » ?

Mais que viennent faire tous ces moutons seuls et sans défenses dans nos montagnes et sur nos caussesPourquoi ces territoires fragiles sont-ils entre les mains de propriétaires terriens qui admettent un pâturage aussi brutal ? D’autant que la plus grande part de la production ovine reste largement industrielle ou quasi industrielle et dépendante des subventions bien qu’elle se présente comme extensive. Il y a environ 7 millions de moutons en France (seulement 38000 en bio soit 0.5%) dont 2 millions pour la production laitière, mais tout cela finit toujours à l’abattoir où un agneau se vend 6 € la tête. Car ce qui menace la filière, c’est le modèle économique lui-même. A peu près 14 tonnes sont exportées sur un total de 65 tonnes soit quasiment 1 agneau produit pour l’étranger sur 5. Dans les élevages, 60% de la mortalité des agneaux survient pendant les 3 premiers jours. Et à l’âge adulte, les conditions atroces du transport des brebis domestiques à des densités réglementaires de 5 moutons par m² (!) durant jusqu’à 19h (mais le voyage peut durer 2 semaines) entraînent à elles seules la mort de milliers d’animaux. Enfin, moins de 1800 élevages ont admis les mesures de protection contre le loup. Or, d’après les chiffres maximum, les loups emportent à peine 0.08% du cheptel un peu avant l’abattoir. Quelle place reste-t-il pour la faune sauvage ? Les lions, les tigres, les panthères et les ours attaquent bien davantage ailleurs, prélevant aussi régulièrement des animaux domestiques. Il existe, même au Canada, des accidents avec les humains. Et j’en suis désolé, du point de la détresse humaine, un paysan espagnol, un ouvrier agricole indien, ou un éleveur tanzanien valent bien autant qu’un producteur d’ovins français.

Les détracteurs du loup répètent toujours la même chose, il faut « réguler ». Mais les éleveurs ont déjà droit à effectuer des tirs de défense pour tuer ou effaroucher les loups qui approchent les herbages. Ils ne s’en privent pas. Il s’ajoute désormais nombre de battues, menées tambour battant. L’élimination exceptionnelle d’individus agressant un troupeau peut se comprendre, mais l’élimination indifférenciée ne s’avère jamais une solution durable. A combien de loups tués s’arrêteront ils ? Car ici, le mot « régulation » n’est qu’une autre forme du mot « élimination ». On tue tout ce qui est vu. On a déjà « régulé » c’est-à-dire tué 33 loups en France (15 femelles et 18 mâles au 30 novembre 2014), soit 11% de la population des 300 loups français (il y a 3000 loups en Espagne), dont des femelles gestantes ou allaitantes. Les chasseurs « régulent » c’est-à-dire massacrent tous les ans 200 000 putois, 150 000 martes, 300 000 belettes et nombre de renards, de blaireaux, de fouines et de visons pour « protéger » leur gibier. Et pourtant, le petit putois de nos campagnes est juste accusé de manger des grenouilles, des lapins et… des rats !

A-t-on été si mauvais dans l’enseignement que l’écologie n’est plus vécue que comme une économie du monde ? Quand et à combien d’animaux tués cesseront ils de dire qu’il y a trop de renards, de loups, de blaireaux ? Cette prétendue « régulation » est une incongruité écologique. Les prédateurs ne prolifèrent jamais. Plus même, chez des animaux vivant en communautés sociales, le groupe familial constitue la clé de la survie. Tuer des loups au hasard entraîne juste l’éclatement des groupes. Le territoire atteint environ 200 km². Les survivants inexpérimentés qui n’ont rien pu apprendre risquent alors de mener une vie plus ou moins erratique et, s’en prenant aux proies les plus faciles, ils peuvent au contraire aggraver le problème des attaques contre les moutons. La proie « naturelle » du loup reste le chevreuil, et le prédateur a besoin d’environ 3 à 5 kg de viande par semaine, soit en moyenne 1 à 2 chevreuils par mois, moins de 2% de ce que l’activité cynégétique tue. Car les chasseurs tuent 500 000 cervidés en France par an et entre 1985 et 2000, le nombre de chevreuils abattus a été multiplié par 4. On le constate, les chiffres n’ont rien de comparable.

Il n’y a pas à être pour ou contre le loup, mais juste à apprendre à vivre avec les animaux sauvages qui nous accompagnent durant notre passage sur cette planète. Vivre avec les animaux comme les agriculteurs biologiques apprennent à cultiver en tolérant les plantes sauvages. Cela n’est pas facile, mais la nature n’est pas la seule affaire des petits propriétaires qui industrialisent nos vies. Notre monde est comme un château de cartes et la biodiversité est nécessaire à notre survie, comme les abeilles et les syrphes pollinisent des millions de plantes à fleurs, depuis nos courgettes à nos assiettes, comme les vers de terre labourent et digèrent des millions de tonnes de déchets et comme les oiseaux, les blaireaux et les fouines dispersent des milliards de graines. On ne sait pas bien à partir de quelles altérations les écosystèmes perdent leur intégrité fonctionnelle mais ôter une carte, puis une autre, encore une autre et c’est l’ensemble de notre monde qui s’écroulera… On a pourtant vu défiler à Paris des cortèges de tracteurs demandant à continuer à user des pesticides encore, et encore.

Au lieu de précariser les ouvriers agricoles, d’exploiter les pauvres et de détruire les milieux naturels, il faut réinventer une agriculture humaine avec des bergers, de vraies communautés et où la survie des uns ne dépendra pas du prix de vente d’animaux regardés comme marchandises, ni de la destruction des autres espèces. Ce n’est pas le loup qui menace l’agriculture paysanne, c’est l’industrialisation de nos vies !

Doit-on considérer la nature comme un espace mercantile dévolu à toujours plus d’échanges marchands ? Doit-on exploiter toutes les « ressources », braconner tous les rhinocéros ? Détruire tous les tigres ? Massacrer tous les putois ? Eliminer tous ces animaux dont on affirme qu’ils dérangent afin de garder seulement des espèces condamnées à perpétuité à être contemplées dans des « réserves » où seuls Mickey et Goofy seraient bien gentiment derrière des grilles ? Partout l’érosion de la biodiversité s’aggrave et la détérioration des milieux s’empire, et, cependant, jamais autant d’éléphants, de tigres, d’hermines et de rhinocéros n’ont été braconnés.

Alors, qui orchestre cette nouvelle fable du loup et de l’agneau ? Je me refuse à vivre dans un monde dépeuplé d’animaux sauvages où la seule réalité serait l’économie de nos vies assujetties aux marchandises. Ce que veulent ces gens-là, c’est une nature vide, bien propre, sans dangers ni animaux sauvages, dépeuplée de tout ce qui en fait l’écologie vitale. Apparemment, les hérauts de« chasse pêche nature et tradition » et autres réactionnaires semblent encore posséder bien de la marge. Ne nous trompons pas d’ennemis. Nous ne voulons pas de ce monde-là, vide des êtres vivants et seulement rempli de leur police, de leurs producteurs et de leurs marchands. Oui, la nature n’est pas un monde de petits pandas gentils, la vie sauvage peut être inquiétante, vivre c’est prendre des risques.

Mais le vrai danger en France, ce n’est pas la survie d’à peine 300 loups sauvages, c’est la gigantesque propagande idéologique de 3 millions de fachos dans l’hexagone.

Thierry Lodé

Clôture de 10 jours 10 conf’ : une conférence sur les drôles de mœurs sexuelles des animaux

Agenda10jours10conf_OK-1-110 jours 10 conf’, un bon démarrage.Se cultiver autrement ? De Chanel à la sexualité des animaux, en passant par 1914 ou le hip-hop, l’Université d’Angers propose depuis le 4 novembre, en partenariat avec ses partenaires culturels, les 10 jours de la conf. À mi parcours, le bilan est déjà positif puisque 250 personnes, dont une majorité d’étudiants, ont déjà assisté aux cinq premières conférences.  Suivies ou précédées de spectacles, de performances ou d’expositions, les soirées sont gratuites et ouvertes à tous et portent sur des thématiques variées et originales.

Encore 5 conférences à venir :
10 nov. à 18h30 – 10+10=33 : le hip hop n’est pas ce que vous croyez, la preuve en 20 disques incontournables
12 nov. à 18h00 – Création lecture-spectacle pour clôturer une journée d’étude sur le thème 1914 et la littérature
12 nov. à 20h30 – Parlons des pressions
13 nov. à 12h30 – La production artistique contemporaine : le dessin au XXè siècle, une aventure hors des sentiers battus
13 nov. à 19h30 – Pourquoi les animaux trichent et se trompent : les infidélités de l’évolution – L’évolution humaine
Découvrir le programme détaillé sur internet ou en pièce jointe.

En clôture de la semaine : « Pourquoi les animaux trichent et se trompent : les infidélités de l’évolution »
Le biologiste Thierry Lodé, professeur en écologie évolutive à l’Université d’Angers, clôturera cette série de conférence le jeudi 13 novembre à 19h30. Son propos sur les drôles de mœurs sexuelles des animaux ne sera qu’un prétexte à une plus vaste réflexion : d’où vient l’incroyable foisonnement vivant de notre planète.

Manifeste pour une écologie évolutive

Sortie aujourd’hui de mon nouveau livre  » Manifeste pour une écologie évolutive : Darwin, et après ? « , aux éditions Odile Jacob.

Ce livre propose de développer une écologie évolutive qui tienne compte de toutes les relations des êtres vivants entre eux. Il nous entraîne dans une enquête historique qui confronte les arguments de Lamarck, de Darwin et du néodarwinisme pour mieux les dépasser.

L’écologie évolutive intègre, à la manière des poupées russes, les différents emboîtements que le vivant élabore à l’aveugle depuis la nuit des temps. Plus que la survie des gènes, c’est bien la construction de ces multiples interactions subtiles et délicates qui fait l’histoire évolutive.

Et si l’observation de la nature nous enseignait que, dans les faits, l’évolution de chacun dépend des autres ?

Thierry Lodé est professeur d’écologie évolutive à l’université d’Angers et chercheur à l’université Rennes-I. Spécialiste reconnu de la sexualité des animaux, il est l’auteur de La Guerre des sexes chez les animaux, de La Biodiversité amoureuse et de Pourquoi les animaux trichent et se trompent. 

La science se fait la pelle

Article de Libération..

Que ce soit sous le gui, au lit ou dans un cagibi, pourquoi cette envie de s’embrasser ? La question taraude les philamatologues.

C’est rituel, on s’est embrassé sous le gui le 31. Pas furtivement du bout des lèvres en pensant à autre chose, non, on s’est roulé des pelles. De vraies galoches. On a mis en œuvre 29 muscles (dont 17 pour la langue), produit 9 milligrammes d’eau au goût sucré, salé, voire alcoolisé. Etait-il fougueux ou langoureux ce baiser ? Etait-il cinématographique façon Bogart-Bacall, ou politique comme l’historique patin Brejnev-Honecker ? Qu’importe.

Bonobos. La vraie question, la seule, est la suivante : pourquoi nous, les humains, nous adonnons-nous à ce bouche-à-bouche que seuls nos proches cousins les chimpanzés et les bonobos pratiquent à l’occasion ? Serait-ce là l’une de nos distinctions ? L’affaire, en tout cas, obsède les scientifiques. Total, les études s’empilent à la pelle, faisant progresser à grands pas la philamatologie : la science du baiser.

On laissera de côté les trouble-fête qui ont cru bon de nous informer voilà une dizaine d’années qu’un baiser se résume à un troc de quelque 40 000 germes. Quand il ne provoque pas des crises chez les embrasseurs allergiques aux noix et à l’arachide qui auraient eu la mauvaise idée d’échanger leur salive avec une personne venant de consommer lesdits fruits. Venons-en au bon côté de la science. Le palot permettrait d’être plus beau, prêchent certains. Il serait bon pour la ligne : un mouliné de la langue d’une minute permettrait de s’alléger de 2 à 3 calories. Il ferait aussi office de lifting du visage, vu le nombre de muscles activés.

Chocolat. Plus sérieusement, les biologistes ont montré qu’embrasser a pour effet d’augmenter notre fabrication d’ocytocine (l’hormone de liaison également appelée hormone de l’amour) et faire baisser notre taux de cortisol (l’hormone du stress). Des chercheurs britanniques ont d’ailleurs souligné qu’en termes de baisse du stress, un baiser fougueux et passionné équivalait à l’ingestion d’une tablette de chocolat. On en déduit que la totale zénitude doit pouvoir être atteinte avec un baiser chocolaté. En outre un baiser provoquerait (du moins quand on l’apprécie) une libération de dopamine impliquée dans le désir et le plaisir : de quoi favoriser le passage au lit. Plus fort encore, un contact labial, incluant une dose de salive, permettrait d’explorer le système immunitaire de l’élu de sa bouche. Une façon implacable de plaquer d’emblée les souffreteux ? Pas du tout. Il s’agit plutôt de se refuser, selon le biologiste français Thierry Lodé, à une personne qui aurait une trop grande parenté génétique. Même les souris (et les mammifères en général) pratiquent l’échange de fluides intimes (particulièrement la salive) à cette fin, c’est dire.

Enfin, début octobre, deux chercheurs du département de psychologie expérimentale de l’université d’Oxford, en Grande-Bretagne, ont encore fait progresser la philamatologie en publiant dans la revue Archives of Sexual Behaviour et Human Nature les fruits d’une enquête conduite sur 308 hommes et 594 femmes de 18 à 63 ans. Principale information : les femmes considèrent (en moyenne) le baiser comme un acte plus important que les hommes. Explication des chercheurs : les femmes, nettement plus impliquées dans la fabrication des enfants, sont plus exigeantes sur leurs choix de partenaires. Une façon de confirmer que le baiser serait une façon de «mieux» choisir son amant. Autre fait d’intérêt, la réaction des femmes au french kissing dépendrait de leur cycle menstruel. Elles seraient plus réceptives au début d’une relation lorsqu’elles sont en phase de conception possible. Pas très romantique.

Marie-Joëlle GROS et Catherine MALLAVAL

Thierry Lodé: L’évolution animale

Retrouvez ici l’interview donnée au magazine suisse MM du 21 octobre dernier (http://www.migrosmagazine.ch/societe/entretien/article/thierry-lode-l-evolution-animale) .

Gros plan de Thierry Lodé, avec un tableau et une formule mathématique en arrière-plan

L’évolution des animaux est une drôle d’histoire! Faite de tromperies, de tricheries et de belles rencontres aussi. Entretien avec Thierry Lodé, biologiste.

Vous dites que les théories de Darwin sont dépassées. Mais quel est le principal moteur de l’évolution, si ce n’est ni la sélection naturelle ni la transmission des «bons gènes»?

La théorie de Darwin n’est pas à jeter aux oubliettes, mais à rénover! L’évolution n’a pu commencer que parce que des cellules ont établi des relations entre elles. A l’origine des êtres vivants, chaque cellule a dû développer, pour survivre, une sensibilité au monde extérieur. Cela a permis de déclencher des réactions d’échange d’ ADN. ces cellules se mangeaient de l’ADN les unes les autres, à un moment donné, tout a changé: l’ADN a commencé à s’exprimer lors d’un échange, et en s’exprimant, cela a renouvelé complètement le métabolisme de la cellule. Cette première découverte a permis aux cellules de réaliser que l’échange pouvait avoir un rôle plus intéressant que la destruction réciproque. Ainsi est née la sexualité!

La sexualité serait le moteur de l’évolution?

Oui, c’est ce que j’ai appelé la théorie des bulles libertines. Mais elle ne concerne que les eucaryotes (ndlr: protozoaires, champignons, plantes, animaux, humains) et non les bactéries puisque celles-ci n’ont jamais accédé à la sexualité.

Les bactéries ne connaissent rien du sexe, dites-vous. Mais pourtant, elles se portent très bien et évoluent quand même…

Oui, elles sont capables d’évoluer sans utiliser la reproduction. Elles peuvent s’échanger un petit peu d’ADN, en fonction de la durée du contact. L’une aspire l’ADN de l’autre, souvent morte d’ailleurs… Mais il n’y a pas de mécanisme sexuel, l’échange n’est jamais total.

Autrement dit, la sexualité est un moteur important de l’évolution, mais pas le seul…

Oui, c’est paradoxal. Le darwinisme a mis en avant la reproduction des êtres, pour expliquer les lentes variations qui ont conduit à produire les différentes espèces. Avec cette idée, qui reste vraie d’ailleurs, que la sélection naturelle va laisser survivre ceux qui sont porteurs des variations les plus favorables. En revanche, dans l’esprit du néodarwinisme, l’hypothèse que les êtres vivants ne sont présents sur la planète que pour laisser leurs gènes me semble peu convaincante. Pourquoi? Parce que

la sexualité est la méthode évolutive la moins efficace qui soit, puisqu’on ne peut donner que la moitié de ses gènes et qu’il faut trouver un partenaire consentant.

Alors, comment expliquer que la sexualité n’ait pas disparu?

Parce que, en inventant ce premier lien entre les cellules, les eucaryotes se sont obligés à avoir des relations. Sans relation, pas de copulation, pas de reproduction. Ça change tout! L’objectif du vivant n’est pas la reproduction, mais la relation.

Dans son dernier ouvrage «Pourquoi les animaux trichent et se trompent. Les infidélités de l’évolution», (Ed. Odile Jacob, 2013), Thierry Lodé démontre une nouvelle fois que la dynamique de la vie ne suit pas une ligne droite. Mais foisonne au gré des rencontres parfois improbables. Darwin n’a qu’à bien se tenir!

Pourtant les animaux vivent des amours insolites, se trompent, se quittent eux aussi. Que faut-il en déduire?

La tromperie, le fait de se quitter font partie des essais, parce que ce qui compte, encore une fois, c’est la relation. C’est elle qui va décider si l’on divorce ou non, pas la reproduction. C’est vrai chez les humains, pareil chez les marmottes ou les oiseaux, que l’on a longtemps pris pour des espèces monogames, alors que ce n’est pas vrai du tout. On peut même se tromper d’espèce! C’est le cas des fouines et des martres, par exemple, qui se reproduisent entre elles, créant ainsi des hybrides. Comme si, au lieu de chercher dans l’autre quelque chose qui soit notre semblable, on cherchait parfois quelque chose qui soit différent…

Si toutes les stratégies sont dans la nature, quelle est la moins efficace?

L’égoïsme! Cette idée d’égoïsme fondamental, prônée par Richard Dawkins, (suivez-le en anglais sur Twitter!) et qui n’a jamais été prouvée d’ailleurs, ne peut pas exister.

Si on ne pense qu’à soi, le monde naturel s’effrite. On a besoin des autres, l’espèce humaine est née de cette interaction.

D’ailleurs, les dinosaures ont disparu non pas à cause de la comète, même si elle a joué un rôle important, mais parce que le château de cartes fondé sur les interrelations entre les espèces s’est effondré.

Pourtant la concurrence reste une stratégie très utilisée chez les animaux comme chez les Hommes d’ailleurs…

Oui, mais elle n’est pas le moteur de l’évolution, elle n’est qu’une interrelation parmi d’autres. D’ailleurs, toutes les interrelations sont ambivalentes. Quand un putois tue un lapin, on pourrait parler d’un échec de la relation, en particulier pour la proie. Mais les putois tuent les lapins à un moment très précis: en été, au moment du pic de la myxomatose. En éliminant les individus contaminés, le putois limite l’extension de la maladie, et cette action empêche finalement la disparition des lapins. Cette relation, a priori négative, a finalement son bon côté.

Thierry Lodé lors de l'entretien.

Vous dites que la coopération est aussi un facteur d’évolution. Un exemple?

L’entraide est une notion d’échange, mais je préfère le mot de compensation. Prenez les chimpanzés, qui peuvent avoir un comportement très violent. Il existe parmi eux un groupe de singes aux bras atrophiés. Ceux-ci ont développé la capacité de se gratter avec un bâton, compétence qu’ils ont même transmise aux autres. D’après la loi de la sélection naturelle, ils auraient dû être réduits à néant. Or si ces animaux handicapés sont capables de vivre dans leurs groupes sociaux, c’est la preuve que des mécanismes de compensation existent.

Mais comment expliquer alors le comportement de la femelle criquet qui dévore les ailes du mâle ou le cannibalisme des araignées?

Même si l’entraide est importante, chaque interaction reste ambivalente. Et les mécanismes de compensation mettent du temps à s’installer. Le processus de la sexualité a conduit à des spécialisations à outrance, qui amènent des divergences d’intérêt. Le comportement de la femelle criquet est l’expression du conflit des sexes, mais qui va être résolu chez certaines espèces de criquets moins primitives: le mâle offre un cadeau à la femelle, des boulettes de protéines, pour ne pas se faire manger les ailes.

Evidemment, il y a toujours des brutaux, comme le canard ou l’éléphant de mer qui pratiquent couramment le viol.

Et 30% des mantes religieuses qui décapitent encore le mâle. Mais ça évolue. L’équilibre, qui est la tendance naturelle de la vie, se construit et conduit les êtres vivants à se réconcilier!

La nature n’a donc rien à voir avec la morale…

Exactement. Il faut arrêter de copier sur elle ou de s’en servir pour fonder la morale humaine.

Ceux qui disent que l’homosexualité n’existe pas dans la nature, se trompent complètement.

Les relations entre les êtres vivants sont multiples! L’évolution est juste une histoire, composée d’épisodes uniques ou répétitifs, de sexualité et de non-sexualité. Il n’y a pas de morale dans la nature, mais nous sommes les uns et les autres en équilibre nécessaire.

Il n’y a donc pas de progrès dans l’évolution?

On pourrait considérer que l’œil humain s’est beaucoup amélioré au cours de l’évolution. Dans la réalité, cela n’a aucun sens. L’escargot vit à côté de nous, ses yeux sont de vulgaires ocelles uniquement sensibles à la lumière, mais il vit tout aussi bien. Le moins que l’on puisse dire est que nos braves escargots de Bourgogne ont une capacité de survie et de résistance égale à la nôtre! Il n’y a pas d’amélioration, mais juste des procédures organiques qui se modifient.

L’idée du progrès est totalement anthropocentrique, comme si l’homme était au sommet de la pyramide!

Mais non, nous ne sommes qu’une espèce parmi d’autres et nous avons besoin des autres espèces. Cela dit, il est vrai que je préfère être un humain plutôt qu’un escargot, mais ce n’est finalement qu’une question de point de vue.

Pourquoi les animaux trichent et se trompent

Retrouvez la vidéo de mon intervention du 22 octobre à l’espace des sciences à rennes : http://www.espace-sciences.org/conferences/mardis-de-l-espace-des-sciences/pourquoi-les-animaux-trichent-et-se-trompent

Pourquoi les animaux trichent et se trompent. Les Infidélités de l’évolution

Pourquoi les animaux trichent et se trompentMon nouveau livre, sorti aujourd’hui aux éditions Odile Jacob.

 » Pourquoi les animaux trichent et se trompent. Les Infidélités de l’évolution « 

Chez les animaux aussi, les histoires d’amour sont faites d’aventures, de caprices, de tromperies, de jalousies et de séparations.

On imagine souvent l’ensemble des êtres vivants bien en ordre d’évolution, avec pour seul souci de laisser le plus possible de leurs gènes à leur descendance. Pourtant, des poulpes aux perroquets, des amibes aux colobes, de quelque côté qu’on se tourne, l’évolution ne semble jamais distinguer les meilleurs, et les méprises sont légion.

Et si le sexe était ce qui, dans l’histoire du vivant, favorise les rencontres improbables, les rapprochements inattendus, les détours imprévus et même les relations hybrides ? Et si, loin de l’image linéaire qu’on en a le plus souvent, c’était précisément cela, la dynamique de la vie ?

Thierry Lodé est biologiste et spécialiste de la sexualité des animaux. Professeur en écologie évolutive à l’université d’Angers, il dirige actuellement des recherches à l’université de Rennes-I. Il est notamment l’auteur de La Guerre des sexes chez les animaux et de La Biodiversité amoureuse.

Meurtre de Clément Méric : « Honte à ceux qui prétendent que les extrêmes se valent »

Tribune publiée aujourd’hui dans le magazine « Politis ».

« Combien de propos insultant la résistance antifasciste allons-nous supporter ? » Une tribune de Thierry Lodé.

« Clément venait d’être massacré quand certains ont ouvert leurs commentaires. Il y a eu bien sûr la parole des professionnels de la confusion et autres condisciples réactionnaires qui se repaissent de toutes ces paraphrases ignobles que certains sites web leur permettent d’étaler. Honte à ceux qui laissent s’implanter la haine tranquille.

Il n’y a aucun doute. C’est bien parce qu’il était militant antifasciste que Clément Méric a été tué.

Alors, combien de propos insultant la résistance antifasciste allons-nous supporter ? Quels sont ces travestissements iniques qui passent encore par les écrits ou par les ondes ?

Et quels sont ceux qui, professionnels de l’information, peuvent être fiers des fausses questions qui ont été posées ? Je ne sais pas ce que les analyses racontent, mais je sais qui devrait avoir honte, qui a la mémoire si courte, si rétrécie.

Honte à ceux qui ont laissé faire cela

Honte à ceux qui, associant nazillons et antifascistes dans un même opprobre ont osé parler d’une rixe entre extrême-droite et extrême-gauche comme si cela les exonérait de réfléchir. Honte à tous ceux-là qui ont prétendu que les extrêmes se valent, ceux-là qui ont cru bon de jeter aux oubliettes des décennies de lutte antifasciste, ceux-là ont oublié les assassinés des nazillons, les récidives des crânes rasés. Mais combien de crimes faut-il pour ouvrir les yeux ? La haine des fachos tue sans cesse et sans honte. Honte à vous qui avez laissé faire, laissé dire que les nationalistes, les fachos de tout poil avaient le droit de nous empester.

Tu me connais, facho, tu m’as promis le sang. Tu me connais FJN, Troisième voie, Œuvre Française, Printemps Français, Civitas. Certains des tiens s’inspirent de la même couleur brune à peine délavée par les vilenies et les mêmes saluts pestilentiels d’autrefois. Ils se délectent à longueur de journées des vidéos les plus monstrueuses de la Seconde Guerre, des images les plus horribles des camps d’extermination, des grands-messes nazies, et ne savent déchiffrer que les écrits de pervers de la raison comme Arthème Fayard, Charles Mauras et Brasillach. Honte à ceux qui ont laissé faire cela.

Toulouse, jeudi 6 juin 2013.

Toulouse, jeudi 6 juin 2013.

AFP PHOTO / PASCAL PAVANI

Clément venait à peine de sombrer dans un coma inéluctable que certains ont disculpé pêle-mêle le Front National, les réactionnaires de la droite décomplexée, la Manif anti-égalité du mariage et les petites phrases répétées jour après jour. Honte à vous, qui, en dépit de mille reportages, de mille avertissements, prétendent encore que les nazillons et leurs zélateurs n’accompagnent pas systématiquement les idées du parti des Le Pen. Ce n’est pas une porosité inconnue. Oui, les fachos font le coup de poing pour ces partis représentés. Oui, il y a des nostalgiques de Pétain, de Mussolini ou de l’OAS dans ce parti officiel. Honte à ceux qui ont laissé faire cela.

 

L’auteur:

Thierry Lodé est professeur d’université à Angers et Rennes 1 en « écologie évolutive ». Il est auteur de plusieuirs livres dont « la guerre des sexes » et « la biodiversité amoureuse », chez Odile Jacob.

Clément ne respirait déjà plus que certains persistaient à s’interroger publiquement sur qui avait commencé. Je peux le révéler. C’est Missak Manouchian, c’est Buenaventura Durruti, c’est Enrique Perez-Faras, c’est Erich Mühsam, c’est Pierre Brossolette qui ont commencé la résistance antifasciste, avec des armes, avec des mots, avec des cœurs. Ceux-là n’ont pas accepté que les immondes zélateurs du boucher Mussolini, que les abjects nostalgiques de Pétain, que les méprisables chagrinés du Caudillo et autres ignobles petits colonels à moustache installent leur dictature. Ceux-là ont porté la lutte pour la liberté et l’émancipation des humains, ceux-là sont morts déportés, fusillés, torturés.

La France s’est construite contre les fachos

Le corps de Clément n’était pas encore froid que certains maintenaient encore que la glose des réactionnaires ne constituait finalement pas un problème pour des thèmes de débats. Honte à tous ceux-là qui laissent dire les diffamations racistes, les calomnies contre la résistance et qui laissent faire les ségrégations, qui encouragent les exclusions et tout ce qui ouvre la porte des fachos. Honte à ceux qui ont laissé faire, laissé dire « le bruit et l’odeur », « le karcher », « le pain au chocolat » et de pires obscénités encore. Honte à ceux qui ont laissé faire cela. La France, comme d’autres Pays, s’est construite contre les fachos, contre les nazis, mais c’est aussi ici qu’ont été développées les plus grandes idées humanistes. Non, les fachos ne passeront pas ici.

Ceux qui ont entamé la résistance difficile contre les idées des nazillons et autres diminués du bulbe le savent pertinemment. Une ambiance réactionnaire imprègne certains plans de notre société, une sorte de culture fasciste gangrène des parts entières de notre vie et insinue progressivement dans les esprits faibles la vilénie de ses confusions. Honte à ceux qui ont laissé faire cela.

Mourir un 5 juin. La météo a été un sujet de préoccupation constant ces derniers jours où chaque journal titrait presque quotidiennement sur la recherche du printemps. Je pense à toi, Clément, à tous les antifascistes du monde. Oui, il a fait froid en France, un froid de facho, un temps de nazi.

Honte à ceux qui ont laissé faire cela. No Pasaran. »

Exposition Bêtes de sexe

Interview du site lerideau.fr.

Thierry Lodé, Bêtes de sexe

Titres non retenus : « La « synthèse évolutive moderne » est actuellement bien branlante », « Les canaris sont capables d’avoir des orgasmes à n’en plus finir », »Pourquoi est ce que la sexualité est apparue un jour ? »

À l’occasion de l’exposition Bêtes de sexe au Palais de la Découverte, nous avons interrogé Thierry Lodé, biologiste, professeur en écologie évolutive et spécialiste de la sexualité chez les animaux, en vue de nous éclairer sur les dessous de l’exposition. Décryptage.

Le Rideau : pourquoi dit-on que la sexualité reste le plus grand problème de la biologie de l’évolution ?

Thierry Lodé : C’est un projet majeur parce que la sexualité complique terriblement les mécanismes reproducteurs ! Normalement, on pourrait très bien se reproduire sans sexualité, de nombreuses espèces le font, comme les vers. Et puis l’évolution a inventé ce dispositif au cours du temps, à savoir, partager en deux les cellules, supprimer de l’ADN…Tout cela, pour arriver, au final, à un résultat simple : avoir des descendants. La question évolutive qui se pose donc, c’est « Pourquoi est ce que la sexualité est apparue un jour » ?

Alors comment peut-on définir la sexualité ?

Le fait est que, pour l’instant, la question n’a pas été résolue ! Et c’est le principal reproche qu’on nous adresse : « Vous nous parlez de quelque chose de très compliqué et vous ne savez même pas nous dire d’où cela vient ! » Selon moi, pour comprendre le sens de la sexualité, il faut chercher aux origines et comprendre d’où vient le sexe. C’est pourquoi on en reste à chercher les avantages de cette sexualité pour pouvoir l’expliquer.

Bêtes de sexe

Dans ce cas, faites-nous partager votre théorie : d’où vient le sexe ?

Pour moi, c’est une théorie un peu révolutionnaire qui consiste à dire que le sexe s’est formé par petites étapes, et que ce n’était pas prévu du tout au départ ! Toutes les cellules qui sont composées de noyaux (plantes, animaux…) procèdent en fait, dès le début, à un réel échange d’ADN, puis sont capables de le réduire. Cette richesse d’ADN va leur donner une capacité à modifier leurs protéines, ce qui va leur permettre de trouver de nouvelles sources de nourritures et de changer leur manière d’être dans l’environnement. Tout va s’additionner, pour fabriquer peu à peu des êtres sexués.

Quels sont les avantages du sexe alors ?

Les biologistes cherchent à savoir quels en sont les avantages, mais ils n’y arrivent pas. Il y a eu beaucoup de publications qui ont montré que grâce au sexe, il y avait plus de variation de l’ADN et que l’on avait une meilleure résistance. En parallèle, il y a plein d’autres scientifiques qui démontrent que cela ne marche pas.

Selon moi, ce n’est pas un avantage à long terme, c’est une espèce d’obligation depuis qu’on est doté d’organes sexuels : on a inventé le sexe et il faut donc faire avec. Cela n’offre finalement pas plus d’avantages, par contre, comme cela peut en offrir dans certains cas, on continue quand même à le pratiquer. En revanche, cela conduit à plein de problèmes, dont la guerre des sexes ! La sexualité n’est pas une solution à la reproduction, elle en est au contraire une complication !

Selon vous, la sexualité est-elle le critère principal pour expliquer le comportement des animaux?

En grande partie ! C’est même fondamental. On voit que 95% des espèces utilisent le sexe et passent énormément de temps à en faire ! Tout s’est organisé autour de cette capacité à rencontrer les autres, échanger les ADN et à produire des descendants. Toutefois, la sexualité n’a pas de rapport forcé avec la reproduction. Des espèces peuvent très bien produire des descendants sans y avoir recours (les paramécies, vers). Parallèlement, d’autres sont capables de faire du sexe sans avoir de descendants. C’est petit à petit que les deux choses se sont mises ensemble, parce que finalement, ça s’est avéré comme cela, par hasard.

Quels points communs y a-t-il entre la sexualité humaine et animale ?

L’énorme chose, c’est qu’il faut tomber amoureux pour faire du sexe ! Du moins, être gouverné par toute une série de processus émotifs, qui vont nous conduire, pas à pas, à être ensemble. Et cela nécessite un consentement : c’est le problème majeur. Les deux individus vont être séparés, il y a un sexe fécondé et un fécondant. Mais pour se rencontrer, il va falloir que les deux soient d’accord. L’évolution a été confrontée à ce problème : comment fait-on pour se mettre d’accord ? C’est de là que viennent toutes les parades sexuelles, les mots d’amour, les troubadours de la nature (ce que l’on voit dans cette exposition). Tous les sens sont mis à contribution ! Tout est en jeu ; les couleurs, les odeurs, les comportements, les mouvements. C’est une débauche de moyens pour pratiquer cette activité émotionnelle, qui bouleverse et qui n’a pas de sens. La relation amoureuse et la relation plus bestiale n’existent pas l’une sans l’autre.

Bêtes de sexes, exposition, palais de la découverte

Il y a donc aussi des sentiments chez les animaux ?

Bien entendu ! Aussi bien ce côté amour que ce côté plaisir. Par exemple, les canaris sont capables d’avoir des orgasmes à n’en plus finir. Il y a une espèce qui peut atteindre jusqu’à 380 orgasmes en une journée ! Donc il y a bien cette recherche de plaisir, que l’on retrouve dans les masturbations de nombreuses espèces, telles que les fellations que pratiquent les grands singes ou les chauves-souris. Derrière tout cela, il y a toute une question émotionnelle qui est présente, notamment, ce qu’on va faire pour rester ensemble, pendant combien de temps, comment va-t-on réussir à se gouverner l’un l’autre. On se rend compte qu’une chose va être essentielle, c’est que le délire amoureux va être gouverné par une chose toute simple, que l’autre soit différent.

C’est donc la diversité que l’on recherche dans la sexualité?

En effet ! Chaque individu va avoir comme amoureux celui qui est différend de lui. On est attiré par un système immunitaire autre que le nôtre. Il y a deux conséquences à cela : d’abord, on fabrique de la diversité du point de vue génétique. Enfin, cela implique que si l’on rencontre une autre personne différente de nous, on sera comme tenté de reproduire l’expérience avec elle. Fidèle ou non ! On peut, comme le castor ou l’albatros, rester longtemps avec la même partenaire quand on est investi dans une relation. Ou bien décider d’aller tenter l’expérience ailleurs !

Ce qui pose donc la question de la monogamie. Une des questions qui est posée aux visiteurs à la fin de l’exposition, c’est  : « Les humains doivent-ils être monogames »…

C’est pour cela que la monogamie est comme un bouleversement, une anomalie, une exception de la nature ! Car à priori, on pourrait tous chercher des partenaires différents. Cette monogamie est souvent contrainte par l’environnement. Celle des manchots par exemple, avait été parfaitement décrite dans le film La Marche de l’Empereur, où l’on voit bien que si l’un des deux partenaires ne fait pas son travail,  l’oisillon est sûr de mourir. On appelle cela la théorie de la destruction mutuelle assurée. On est monogame, si on est certain qu’on ne peut pas faire autrement. Grossièrement, toutes les espèces sont polygames !

Même pour l’Homme ?

Oui. Il n’y a qu’à regarder le nombre croissant de divorces ! On fait des essais, des erreurs. Après, il ne faut pas faire de généralité absolue. Ce n’est pas parce que certaines espèces sont polygames que toutes les autres changent de partenaires, non. En moyenne, une grande majorité l’est, que ce soit du côté animal ou des humains.

À la fin de cette exposition, l’idée qui ressort c’est que chez les hommes, on cherche avant tout à se reproduire. L’objectif étant le sexe. L’amour serait donc réduit à une  façon parmi tant d’autres pour y parvenir…

C’est un point avec lequel je suis en désaccord total avec l’exposition comme avec beaucoup de chercheurs néo-darwiniens qui parlent de la « synthèse évolutive moderne », qui est actuellement bien branlante ! Pour beaucoup, c’est la théorie dominante selon laquelle, nous serions sur cette planète pour laisser nos gènes. Les êtres vivants n’ayant donc pas grand intérêt, puisqu’ils seraient des « machines à se reproduire ».

Ce qui, selon moi, est totalement faux. D’abord, parce qu’en observant l’évolution, on se rend compte que plus on avance, moins les espèces se reproduisent (paradoxe de Cole). C’est donc bizarre qu’une espèce désireuse de laisser ses gênes fasse peu de descendants. Deuxièmement, on a des espèces suicidaires, pensez au saumon pacifique qui se reproduit une fois dans sa vie et meurt ensuite, comme les mâles de fourmis. Enfin, c’est la mort. Il y a longtemps que génétiquement on devrait avoir acquis la capacité à vivre plus longtemps (si l’on désire avant tout laisser le maximum de descendants !). Or on vit plus vieux, principalement grâce à une meilleure hygiène et une médecine pour soigner. Aucune espèce n’a acquis cela. Même en prenant certains poissons qui vivent 400 ans, à l’échelle de l’évolution, ce n’est rien !

L’amour n’est donc pas une donnée à négliger, de même que laisser ses gênes n’est pas une loi évolutive primordiale?

Si on pratique du sexe au départ, ce n’est pas pour faire des enfants. C’est parce que l’on rencontre un individu qui va nous bouleverser, parce que son système immunitaire est différent. Puis cela va entrainer, petit à petit, un bouleversement du cerveau (Amour) et ce n’est qu’après, que l’on va penser à avoir une descendance.

Il faut du temps, un consentement, un processus. Je crois que l’on est plus attaché à la survie des individus qu’à la préservation des gênes, comme le montrent les mères kangourous, qui, lorsqu’elles sont pourchassées par des prédateurs et si leur petit les retarde, s’en débarrassent pour se sauver.

Bêtes de sexes, exposition, palais de la découverte

Pour vous la sexualité chez l’homme est plus complexe que chez celle des animaux ?

C’est un peu plus complexe dans la relation de consentement. C’est parce que l’on a un degré de complexité dans nos relations qui est plus grande et que la culture, par exemple, entre en jeu.

Après, la sexualité se ressemble des deux côtés. Comme chez les animaux il y a des homosexuels, des viols, des pervers, des conflits… Il n’y a pas une stratégie qui est meilleure que l’autre, elles sont simplement différentes. C’est le système de l’évolution qui conduit à produire de la différence.

Quel est le problème avec la théorie des darwinistes ?

C’est de dire, grossièrement, que l’on cherche à produire les meilleurs gènes, que se sont les individus les plus forts qui se reproduisent. Or, si c’était vrai, il y a bien longtemps qu’on serait tous pareils et que la diversité génétique n’existerait plus.

Si, par exemple, on cherchait à faire comme le paon, toutes les femelles seraient attirées par le même mâle, on serait alors depuis longtemps tous les enfants des plus beaux.

En revanche, cela aurait eu pour conséquence, puisque c’est un tri, de réduire la quantité de gènes. C’est là que réside le problème de la théorie de « la sélection naturelle ». Alors qu’avec les nouvelles théories évolutives, tout le monde est le partenaire de quelqu’un d’autre, simplement parce qu’il est différent.

Dans la réalité, ce qui compte, ce n’est pas la séparation, c’est la relation. C’est ce qu’on souligne avec cette « écologie évolutive ». C’est cela que le sexe met en exergue, qui montre que tout est question de coévolution.

Quel est le message de l’exposition Bêtes de sexe, qu’est-ce qu’elle veut mettre en avant ?

Ce qu’elle met en évidence, c’est qu’en biologie, toutes les conduites sexuelles sont possibles, il n’y a pas de normes. La norme, le normal et l’anormal n’existent pas. La plus grande diversité est présente. C’est grâce à cette dernière que l’on va réinventer la diversité et que la vie est possible sur la planète.

 

Résultats des questions posées à la fin de l’exposition mai 2013

 

–       Croyiez-vous à l’amour vrai ?

Oui : 68012

Non : 33462

Peut-être : 40755

–       Les humains doivent-ils être monogames?

Oui : 51659

Non : 39512

Parfois : 51747

–       À quoi sert le sexe ?

Procréer : 40727

À se distraire : 34080

À l’intimité : 39180

–       L’amour sans sexe vaut-il mieux que le sexe sans amour ?

Oui : 37773

Non 40944

Je ne sais pas : 38992

 Thierry Lodé, Bêtes de sexe

Interprétation du spécialiste :

La thématique émotionnelle prend parfois le pas, et je crois que c’est ce qui explique en grande partie le côté moral dans ces réponses, comme le fait que le sexe sert en majorité à la procréation. Et si cela ne servait qu’à cela, pourquoi existerait l’amour, les émotions ? On voit bien que l’amour a besoin du sexe et que le sexe a besoin d’amour. Les deux sont étroitement liés, même si l’on peut le pratiquer séparément ! Cependant, on a souvent tendance à penser que les animaux vont pratiquer du sexe bestial, or, hormis quelques canards malveillants, c’est bien loin d’être le cas !

 

Exploits et anecdotes :

 

Les coraux de la Grande barrière pondent au même moment, donnant lieu au plus grand acte de reproduction collective de la planète.

Les pingouins mâles offrent des galets aux femelles, en vue de réchauffer le nid pour la fécondation.

En léchant l’urine des femelles, les girafes mâles peuvent savoir si elles sont fertiles.

Les chimpanzés ont des testicules 4 fois plus gros que celles d’un gorille : signe d’incertitudes au sein de leur société.

450. C’est le nombre d’espèces qui ont présenté des signes d’homosexualité.

Le pénis d’une bernacle mesure jusqu’à 30 fois la longueur de son corps.

Les femelles du lézard à queue en fouet se clonent elles-mêmes par accouplement et stimulations mutuelles. Il n’y a plus de mâles.

 

Infos pratiques :

Bêtes de sexe, la séduction dans le monde animal, jusqu’au 25 août 2013

Palais de la Découverte – Avenue Franklin Delano Roosevelt – 75008 Paris

Ouvert du mardi au samedi de 9h30 à 18h – dimanches/jours fériés de 10h à 19h

Tarifs : 8€, TR 6€ (-25 ans, étudiants, familles nombreuses)/ gratuit pour les -6ans

Renseignements : www.palais-decouverte.fr